Régime militaire : l’Exception tchadienne

Soumis par Redaction le Jeu 23/02/2023 - 12:54
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La Conférence des Chefs d’État et de Gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) a tenu, le samedi 18 février 2023, à Addis-Abeba, en Éthiopie, un sommet extraordinaire. La CEDEAO s’est non seulement opposée à la demande de levée de sanctions introduite par le Burkina Faso, la Guinée-Conakry et le Mali, mais a pris une nouvelle mesure restrictive : interdiction de voyager aux membres du gouvernement et hauts fonctionnaires des trois pays. Sanctions entérinées par l’Union africaine, qui organisait son 36ème sommet. Sur le Tchad, pourtant sous régime militaire, aucun mot de l’organisation interafricaine !

Le Mali, le Burkina Faso et la Guinée-Conakry ont été sanctionnés par la CEDEAO et l’Union africaine pour coups d’État. Au Tchad, au lendemain de l’assassinat du maréchal Idriss Deby Itno, au front, en avril 2020, son fils, le général Mahamat, lui a succédé, avec la bénédiction de la quasi-totalité de la communauté internationale. Un Comité militaire de transition (CMT) a été mis en place, pour une période de dix-huit mois. Des élections générales devaient être organisées, afin de céder le pouvoir à des civils. À l’approche de cette échéance, le CMT a remué ciel et terre pour orchestrer un Dialogue national inclusif souverain (DNIS), très encadré. Ce grand exercice, boycotté par une partie de l’opposition, la Conférence épiscopale tchadienne, et la société civile, a décidé de prolonger de deux ans la Transition. Le DNIS a également décidé d’autoriser les dirigeants de cette période d’exception à se présenter aux futures élections. Les manifestations sanglantes du 20 octobre dernier sont une des conséquences directes de cette situation. Un fait aura frappé les esprits : il n’est toujours pas question de sanctionner les autorités tchadiennes. Le président de la Commission africaine, Moussa Faki Mahamat, bien que tchadien lui-même, avait appelé à frapper son pays en ce sens. En vain.

Une jurisprudence inédite et pragmatique

Le Tchad, sous le père, Idriss Deby Itno, comme sous le fils, Mahamat Idriss Deby, dispose d’une force de frappe militaire, transformée en outil politique et diplomatique : son armée. Une armée efficace, qui s’exporte. La France en avait fait son supplétif principal au Mali, dès le déploiement de la force Serval. Les soldats tchadiens, à bord de leurs pickups, le visage camouflé sous des burnous, s’étaient portés au Mali, dévorant, dans la discipline, des milliers de km, en quelques jours. Leurs longues colonnes, enveloppées de poussière ocre, avaient été montrées, à loisir, sur des chaines de télévisions, africaines, françaises et internationales. Ce grand contingent était alors commandé par un certain… Mahamat Idriss Deby ! Des Tchadiens avaient compris que ce nom était à retenir. La réalité allait dépasser leurs supputations subjectives. Au Mali, contre les jihadistes, ils firent des merveilles, au prix de la vie de beaucoup d’entre eux. Dans le bassin du Lac Tchad, ils renouvelèrent l’exploit contre la secte Boko Haram, parfois sous le commandement direct du président Idriss Deby Itno en personne. Là encore, des images du général au front, en hélicoptère, à pieds, et hurlant des ordres précis de tirs puis de bombardements inondèrent les télévisions. Dans un clip ondoyant, la première dame, Hinda, déclama les hauts-faits d’armes de son mari. À l’occasion de plusieurs missions, effectuées à Diffa, ville nigérienne frontalière du Nigeria, je me suis laisser conter l’épopée des militaires tchadiens en ces lieux, par des Nigériennes et des Nigériens conquis : « Si tu voyais les soldats tchadiens marcher… Leurs pieds, lourds, pètent du feu… Un soldat tchadien ne se couche pas, ne rampe pas pour attaquer l’ennemi… Il se tient debout, et lui tire dessus au bazooka ! » Au sein de la MINUSMA, le Tchad qui compte le plus d’effectifs, continue de jouer un rôle stratégique. L’armée est le capital, par excellence, du Tchad. La communauté internationale s’est laissée convaincre que l’Afrique avait besoin d’un Tchad stable pour lutter contre le terrorisme au Sahel et dans le bassin du Lac Tchad. Elle ne marchande pas son soutien à Ndjamena, au nom de ce principe. Autant les coups d’État survenus au Mali, à deux reprises en l’espace de neuf mois, au Burkina, dans un intervalle de huit mois, et en Guinée-Conakry, ont été, fermement condamnés par les instances africaines et internationales habilitées, autant le schéma de dévolution monarchique du pouvoir au Tchad a été applaudi.

Son armée, son capital

Un fait n’a pas attiré l’attention de nombre d’observateurs, alors qu’il allait avoir un impact important dans la perception du régime du fils par la diplomatie internationale. Aussitôt les obsèques du maréchal du Tchad bouclées, les rebelles Front pour l'alternance et la concorde au Tchad (FACT), rendu responsable de la mort du président Idriss Deby Itno, au front, le 21 avril 2021, ont cru l’armée de leur pays affaiblie. Ils ont encore attaqué. Le chef d’état-major, à la tête de ses troupes, est allé « mater ces bandits », et est revenu à Ndjamena, sous les acclamations de la population. Le « jeune » général Mahamat Idriss Deby venait de prouver à la face du monde qu’il avait de qui tenir. Euphorique, la même communauté internationale avait poussé l’exception tchadienne jusqu’à ne pas demander la moindre garantie à la Transition. Cerise sur le gâteau, quand, à l’issue du DNIS, tenu du 20 août 2022 au 05 octobre 2022, au Palais-du-15-Janvier, à Ndjamena, les participants ont proposé de « renouveler la Transition de 24 mois au maximum » et de « maintenir en fonction le président du CMT, qui devient le président de Transition », l’Union européenne, l’Union africaine, la Francophonie, le Canada, la Suède, la France, la Grande-Bretagne, l’Allemagne et l’Espagne, pourtant bailleurs de l’exercice, observent un silence gêné mais approbateur. Le DNIS préconise aussi que "tout Tchadien en général et les dirigeants de la Transition en particulier soient électeurs et éligibles" dans deux ans.

 

Tels se présentent quelques-uns des ressorts de « l’Exception tchadienne » …

 

André Marie POUYA

Journaliste & Consultant

 

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Commentaires

Soumis par OB (non vérifié) le mar 28/02/2023 - 08:59

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Indépendemment de leur capacité militaire, les régimes militaires favorables à la France et à l'occident ne sont jamais sanctionnés. Vue de l'occident la véritable menace n'est pas les jihadistes mais la Russie et Wagner. L'invasion jihadiste etait une opportinuté d'une reprise coloniale d'Etats en faillite...

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