Burkina-Musique /Smarty : « Si je n’étais pas rappeur, j’aurais été commerçant »

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Smarty

Figure incontournable de la musique burkinabè et africaine, il trace toujours la voie de sa lutte. Des années 2000 à nos jours, il n’a pas perdu de vue son objectif. Il a gardé et garde encore sa place d’artiste engagé et se positionne souvent comme porte-parole du peuple, en particulier de la jeunesse burkinabè. Même s’il n’a plus “Rien à prouver”, il continue d’enchaîner les concerts dans de nouvelles contrées, pourvu que sa voix se fasse entendre de tous. Avec Smarty, nous allons explorer son rapport à la société, découvrir ses coulisses, ses habitudes, sa playlist, son humour et ses rituels avant un concert. Interview accordée à Zoodomail.com le 19 septembre 2025.

 

Zoodomail.com : Quel bilan fais-tu du concert au Casino de Paris ?


Smarty : C’est un bilan positif dans le sens où ce n’est pas toujours évident, après tant d’années de carrière, chaque fois qu’on repart encore à l’assaut d’une salle telle que le Casino de Paris. Tu as des appréhensions, tu as peur parce que rien n’est gagné à l’avance. Avoir fait le plein de la salle, avoir réuni toutes les associations burkinabè de France autour d’un même évènement, cela a donné un sens aussi au spectacle, notamment avec l’accompagnement de l’ambassade et des autorités. En gros, il y a eu une très bonne « vibe » autour de ce concert. C’était vraiment positif et cela me donne beaucoup de force pour aller encore de l’avant.

 

 

Est-ce que tu penses d’abord au public burkinabè ou au monde entier quand tu écris ?


Smarty : À chaque fois que je compose mes chansons, j’essaie de ne pas penser seulement au public burkinabè. Je pense que le monde est très ouvert, c’est un monde cosmopolite avec beaucoup de messages. L’envie, pour tout artiste, c’est de se faire écouter partout. Mais on crée plus ou moins sans calcul, parce que si tu te mets à calculer, tu peux beaucoup te tromper. En même temps, on fait ce qui nous rend heureux, mais à la base j’écris ma musique pour que tout le monde s’y retrouve.

 

Qu’est-ce qui t’inspire le plus aujourd’hui : la colère, l’espoir ou la nostalgie ?


Smarty : Ce qui m’inspire aujourd’hui, c’est beaucoup plus l’espoir et la joie de vivre. Je pense que quand on arrive à mon âge et quand on arrive à tenir autant dans la musique, on se dit qu’on a beaucoup plus à construire pour laisser un héritage positif à la nouvelle génération. Je pense davantage à l’héritage, au sourire. Je prends la vie comme elle vient aujourd’hui, j’essaie d’être heureux chaque seconde, chaque minute et chaque heure qui me reste à vivre.

 

Quel souvenir t’a le plus marqué lors de ta carrière musicale ?


Smarty : Mon concert avec Mandowé. La première fois dans l’histoire de la musique burkinabè qu’un concert de cette envergure se tenait au stade municipal de Ouaga. C’est ainsi qu’on ouvre la porte, qu’on montre aux autres que c’est possible et que ce n’est pas forcément ceux qui viennent d’ailleurs qui peuvent le faire.

 

Si ton concert devait être un souvenir marquant pour le public, ce serait lequel ?


Smarty : Je souhaite toujours qu’ils ne vivent pas le même concert. C’est-à-dire que si tu es venu hier à mon concert, et que tu viens une autre fois, tu ne vivras pas la même chose. Je veux qu’à chaque fois il y ait une nouvelle touche, une nouvelle approche, un petit détail dans le déroulement du spectacle qui soit différent de ce que tu as vu hier. Je veux qu’ils gardent le souvenir de quelqu’un qui aime ce qu’il fait, qui travaille fort et qui aime beaucoup donner de la joie.

 

Est-ce qu’il y a un sujet que tu as toujours voulu aborder en musique mais que tu n’as pas encore osé ?


Smarty : C’est concernant ma vie personnelle, mais je ne vais pas le dire en interview. Ce n’est pas tout qu’on doit aborder dans les chansons. On peut même les aborder sans que le monde ne sache que c’est de nous-mêmes qu’on parle. Si je donne un indice, j’ai tout donné ; autant écrire la chanson et la sortir.

 

À quoi ressemble ta journée type avant un gros concert ? Est-ce que c’est plutôt méditation, répétition ou bonne bouffe ?


Smarty : Déjà, on ne répète jamais la veille d’un concert. La veille d’un concert, je suis couché. Si je sors, c’est peut-être pour faire une petite course, sinon je préfère ne pas bouger parce qu’il y a aussi le stress, beaucoup de questionnements qui taraudent ton esprit. Je pense qu’il faut rester concentré.

Si on ouvrait ta playlist maintenant, quel son surprendrait le plus tes fans ?


Smarty : Le son qui va les surprendre, c’est Peter Tosh avec pour titre « Mada Dog » (un chanteur jamaïcain qui dénonce l’ingratitude et la trahison dans sa chanson), parce qu’on ne s’imagine pas forcément que je vais écouter une chanson pareille.

Si je te dis « Give me my way » ou « N’dolé », cela te fait penser à quelle étape de ta vie ?


Smarty : Au recommencement, parce que je sors de Yeleen, je reprends ma carrière, je sors un premier album « Afrikan Kouleurs » et ces deux titres sont dessus. En ce moment, j’apprenais à chanter. C’est aussi beaucoup d’encouragements de la part de mes musiciens, parce que je chantais faux, je trouve toujours que ce n’était pas net, mais maintenant il y a de l’évolution. J’étais tenté d’abandonner parce que je venais d’un groupe où il y avait un chanteur et un rappeur, et je ne voulais pas sortir un album qui déphasait avec cela. Je voulais essayer de tenir l’équilibre et je n’allais pas appeler un chanteur pour venir ; j’ai donc commencé à chanter.
Le premier titre qu’on a lancé, c’est « N’dolé », et je me souviens que les gens se sont moqués parce que c’était complètement différent de ce que je faisais. Mais j’ai toujours aimé aller là où on ne m’attend pas, et avec l’habitude, tu n’arrives plus à surprendre les gens. Vraiment, le souvenir de ces deux titres, c’est le recommencement, la douleur, réapprendre à marcher, se relever et faire face à ses peurs, faire face au public et essayer de reconquérir ce monde qui, à cette période, était très déçu et m’en voulait énormément.

 

Quel titre tu ne voudrais jamais mettre à un de tes concerts ?


Smarty : « Ne stop pas la musique », parce que je pense qu’on aurait pu mieux faire avec ce titre.

Si tu devais choisir entre un micro qui ne tombe jamais en panne et un public qui chante toujours juste, tu prends quoi ?


Smarty : Je choisis le public qui chante toujours juste, parce que même si tu as un micro qui ne tombe jamais en panne, mais que tu te retrouves dans une salle où il n’y a pas de public, c’est chaud. Je préfère le public qui chante toujours juste, et s’il est là, c’est parce qu’il t’aime et que c’est grâce à lui que tu existes.

Si on te donnait la possibilité de rapper avec un personnage de dessin animé, tu choisirais qui ?


Smarty : « Picsou ». C’est un personnage qui m’a marqué quand j’étais plus jeune. Je l’aime bien, il est pingre, donc j’imagine avec lui comment on va devoir gérer, parce qu’il est très radin. Il a une bonne « vibe ».

Est-ce qu’il y a une punchline de toi que même toi tu trouves trop compliquée quand tu la réécoutes ?


Smarty : Non, je n’en trouve aucune.

Certains fans trouvent qu’il faut se munir d’un dictionnaire pour comprendre ta musique.


Smarty : Pourtant non. Peut-être que les périodes évoluent, mais l’idée derrière, quand j’écris, c’est d’amener les gens à la réflexion. Celui qui m’écoute doit apprendre, et je le pousse à aller chercher. Je ne suis pas allé loin à l’école, mais j’ai grandi en écoutant des gars comme Solaar ou IAM. Il y a des mots, quand on les entendait, on ne comprenait pas forcément, donc on partait chercher. Pour moi, l’idée d’une musique, c’est de pousser à la réflexion. Certes, la musique c’est de la distraction, mais c’est aussi de la réflexion : pousser celui qui t’écoute à faire des recherches pour apprendre quelque chose, comme s’il lisait un roman.

Est-ce que tu préfères qu’un fan t’offre 1 000 tee-shirts avec ta photo ou un seul plat de ton repas préféré ?


Smarty : Je préfère un plat de mon repas préféré, parce que j’ai déjà ma tête avec moi. Si je me place devant un miroir, je me vois. Je préfère bien manger.

 

Si tu n’étais pas rappeur, tu serais quoi dans la vie ?


Smarty : Si je n’étais pas rappeur, j’aurais été commerçant. J’ai fait pratiquement quatre (04) années à Rodwoko et j’aimais ce métier, parce que c’est une école de vie. On t’apprend la solidarité, la vie surtout côté business, à économiser, à gérer, et on t’apprend l’importance de chaque centime que tu gagnes. J’ai vu comment les commerçants sont solidaires, comment chaque jour ils gèrent leurs gains. Ils ont un autre mindset. Ils ont une façon de faire que même l’école de commerce ne peut pas t’apporter dans la pratique.

 

Le concert au Canada aura quelle particularité ?


Smarty : Déjà, la particularité c’est que c’est au Canada. Cela va faire la sixième fois que j’y pars, mais toutes les fois où je suis parti, c’était pour un festival. On était nombreux et, cette fois-ci, je suis seul en tête d’affiche. C’est une heure de spectacle entier, et en plus on va jouer le 17 et le 18 octobre 2025 dans deux villes : on joue à Québec et le lendemain à Montréal. C’est un bon challenge, parce que plus tu t’éloignes de ton pays, plus le défi est énorme. On va donc se donner à fond avec les musiciens, comme on sait si bien le faire de façon professionnelle, et ceux qui viendront ne seront pas déçus.

Un dernier mot ?


Smarty : Le dernier mot, c’est d’abord vous remercier et demander à tous les gens de Québec et de Montréal de sortir, d’être présents au spectacle, parce que ça va être vraiment top. On a arrêté de dire « on va mettre le feu », mais ça va vraiment être bien. Il y aura de la joie et on va passer de bons moments. Venez, et c’est une façon pour nous de terminer l’année dans la gaieté.

El'Bouge

Par Nefertari Ouedraogo|Zoodomail.com

 

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