Le Burkina Faso, « Pays des Hommes intègres », se présente comme la mosaïque d’une soixantaine d’ethnies où la foi est le pilier central de l’existence même. Le 25 décembre de chaque année, les chrétiens du pays s’arrêtent pour fêter Noël. Si cette célébration est importante pour le calendrier chrétien, elle s’inscrit au Burkina dans un contexte de pluralisme religieux. Dans une nation où l’islam, le christianisme et les Religions Traditionnelles Africaines (RTA) cohabitent, Noël dépasse le cadre de la sacristie pour devenir un « fait social global »[1]. Comment la célébration de la naissance du Christ parvient-elle à s’harmoniser avec une spiritualité traditionnelle assumée pour forger une nation unie ? Fêter Noël, c’est aussi explorer la mutation d’une fête universelle en un levier de paix au Burkina Faso.
I. La fête de Noël : Sens, signification et évolution historique
1.1. De l’Orient à l’Occident : la genèse d’un symbole
Historiquement, la fixation de la date au 25 décembre par l’Église de Rome au IVe siècle visait à christianiser les fêtes païennes du solstice d’hiver, notamment le culte de Sol Invictus[2]. Cette substitution symbolique marque le passage des « ténèbres à la lumière ». Pour l’Afrique, cette métaphore du « Soleil de Justice » a facilité l’adoption de la fête, le soleil étant un symbole divin majeur dans de nombreuses cosmogonies sahéliennes.
1.2. L’évolution liturgique et l’introduction au Sahel
Au Burkina Faso, à la différence des décennies passées, La Nativité ne semble plus perçue comme une importation coloniale, mais comme une « naturalisation » spirituelle. L’introduction du christianisme à la fin du XIXe siècle par les Missionnaires d’Afrique (Pères Blancs) a d’abord vu Noël comme un outil d’évangélisation par le récit de la pauvreté de la Crèche, lequel parlait directement aux populations rurales à l’image des pauvres bergers de l’Évangile (Luc 2, 8). Ce fut le début d’une forme de contextualisation (chez les protestants et les évangéliques) et d’inculturation (chez les catholiques)[3].
II. La fête de Noël et les chrétiens burkinabè : de l’inculturation en question
2.1. La « théologie ou la spiritualité du tam-tam »
L’inculturation (bien que l’idée soit plus complexe), c’est le processus par lequel l’Évangile s’insère dans une culture donnée ou qu’une culture s’ouvre à l’Évangile [4]. Au Burkina, cela se manifeste dans la liturgie par une forte expression sensorielle lors de la messe de minuit[4]. Cette célébration nocturne est souvent fréquentée par des sympathisants de toutes confessions. La solennité et la joie de l’événement les honorent.
- Le « Bendré » et la Parole de Dieu : ce tambour de calebasse n’est pas un simple instrument. Chez les Mossis, par exemple, il est le « messager » du Roi. L’utiliser dans l’Église signifie que le message du Christ possède désormais une autorité coutumière. Ce qui introduit Dieu au cœur de l’âme africaine.
- Les chants en langues nationales : Chanter en mooré, dioula, gulmantché ou dagara permet d’utiliser des concepts sémantiques profonds que le français ne saurait traduire, comme le concept de « Laafi » (la paix/la santé globale) associé à la venue du Sauveur/Salut.
2.2. Une sociologie du « Poulet bicyclette » : le don mutualisé en savoir-vivre
La dimension sociale de Noël au Burkina repose sur l’accueil et l’hospitalité. Le repas, symbolisé ici par le célèbre « Poulet bicyclette », est partagé au-delà de la communauté chrétienne. Pour le chrétien, Noël est le rappel que Dieu n’est pas une entité lointaine, qui se réjouit toute seule, mais un « Dieu avec nous » (Emmanuel). Au Burkina Faso, cette proximité divine résonne avec la conception traditionnelle d’un Dieu créateur qui, bien que transcendant, est présent à travers ses créatures. « Au Burkina Faso, on ne mange pas seul ».
Par ailleurs, c’est dans cette ambiance festive que s’exprime la « Parenté à plaisanterie »[5], un concept pratiquement sacré, où les voisins de différentes ethnies ou religions s’invitent pour, trivialement dit : « manger le Noël », désamorçant ainsi les tensions sociales par la commensalité et la fraternité partagée.
III. Noël et les Religions Traditionnelles Africaines (RTA) : le ciment discret et efficace
3.1. Une spiritualité de la continuité
Le message principal des RTA est celui de la paix entre les mondes (visible et invisible). Noël, en célébrant un Dieu qui se fait « enfant », et donc humain, rejoint la vénération africaine de la vie naissante comme une bénédiction des Ancêtres[6]. L’aspect fragile de cette réalité réjouit tout l’Homme dans sa vulnérabilité appelée à être guérie, et même transfigurée. Les masques traditionnels peuvent parfois sortir lors de réjouissances populaires de fin d’année, mêlant l’ancestral message au sacré chrétien.
3.2. Le « Basga », la nouvelle moisson et la Nativité : une convergence de valeurs
Dans les traditions locales, notamment le « basga » (fête de gratitude et de réjouissances après les récoltes), on remercie Dieu et les Ancêtres (les puissances spirituelles) pour la subsistance, surtout pour la santé. Cette « nouvelle moisson » porte différents noms, par exemple, chez les Gulmantché, c’est le Dilembu (littéralement « goûter le nouveau mil ») ou le « Bong-Ngo », chez les Dagara. Ainsi, Noël arrive précisément après les récoltes au Burkina. Pour le paysan burkinabè, Noël devient une extension chrétienne du Basga : on rend grâce pour les céréales recueillies et pour le « Pain de Vie » symbolisé par le Christ (Jean 6, 51). Entre l’Autel traditionnel et la Crèche, il y a des similitudes dans le signifié, tel que la célébration du Mystère, de la Présence, du Message.
3.3. L’institutionnalisation des traditions (2024-2025)
Un tournant historique a été pris avec l’instauration de la Journée des Coutumes et des Traditions (15 mai) par le gouvernement burkinabè en 2024[7]. Cette reconnaissance officielle renforce la confiance des pratiquants dans les Religions traditionnelles africaines, qui voient désormais Noël non pas comme une rivale ou une concurrente, mais comme une fête « consœur » dans la quête de la paix nationale. C’est un dialogue de vie, non pas un débat théologique, mais une pratique quotidienne. On fête Noël ensemble comme on fêtera la Tabaski quelques mois plus tard. Cette tendance reste forte dans les esprits ; elle défit les velléités de divisions. L’unité par la cohésion est à préserver à tout prix.
IV. La Paix comme héritage communautaire : des enseignements pour l’avenir
4.1. Un rempart contre l’extrémisme
Dans le contexte actuel de crise sécuritaire au Sahel, l’association de Noël aux valeurs de la tradition (respect de la vie et des aînés, hospitalité sacrée) est une arme de résilience certaine. Le message de paix de Noël peut se traduire en termes de « Burkindi » (l’honneur et l’intégrité de l’Homme)[8]. En effet, pour les chrétiens, cet « Enfant » est divin ; il vient restaurer l’humain dans sa dignité. « Car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu » (Luc 19,10).
4.2. La figure du chef coutumier, garant de l’unité
Pendant les festivités de Noël, les chefs coutumiers (à l’exemple du Mogho Naba) reçoivent les vœux des autorités chrétiennes. Ce rite de courtoisie prouve que la nation burkinabè est bâtie sur un équilibre où la religion ne cherche pas à effacer la tradition, mais à s’y allier pour construire la paix. Le bel exemple des Rois mages, guidés par l’étoile, offrant l’or, l’encens et la myrrhe. Il est sublime dans l’humilité qu’il transmet à tous ceux qui possèdent des pouvoirs temporels et terrestres. Le Burkina Faso, de ce point de vue, surtout dans l’attitude majoritaire de ces chefs conserve des valeurs toujours utiles, voire indispensables pour la postérité[9]
Au-delà d’un humanisme burkinabè : vers le Pays des croyants intègres
En définitive, la fête de Noël au Burkina Faso n’est pas une simple commémoration liturgique (un simple rituel religieux) ; c’est un laboratoire de la coexistence en acte. En appariant la ferveur chrétienne à la sagesse des Ancêtres, le peuple burkinabè démontre que la foi en un Dieu unique et le respect des racines traditionnelles ne sont pas des forces opposées, mais les deux faces d’une même volonté de vivre ensemble[10].
Pratiquer la tolérance pragmatique, c’est accepter la foi de l’autre comme une richesse et non une menace. Rapprocher l’identité culturelle commune, c’est se reconnaître d’abord comme Burkinabè, héritiers d’une tradition d’hospitalité qui précède les religions révélées. À l’image d’un cri strident qui proclame : « Noël ou toute autre fête religieuse au Burkina n’est plus la fête d’une confession quelconque, c’est la fête de la famille humaine burkinabè. »
Le message de la Nativité « Paix sur terre aux hommes » (Luc 2,14) trouve ici sa traduction, sinon sa « langue divine » la plus concrète et la plus tard partagée dans le respect mutuel des cultures d’un peuple qui a de l’avenir.
Neree Zabsonre
Membre-UPF
PH.Internet
[1] Un terme emprunté au sociologue Marcel Mauss : un phénomène qui engage la totalité des institutions de la société (religieuses, juridiques, économiques, esthétiques).
[2] Michel Meslin, Le Christianisme dans l’Empire romain. L’auteur explique comment le syncrétisme originel a permis à Noël de devenir une fête universelle.
[3] Relire l’historien burkinabè. Joseph Ki-Zerbo, Histoire de l’Afrique d’hier à demain. Il souligne que l’accueil des religions monothéistes s’est fait sur un socle de valeurs préexistantes.
[4] Messe de minuit : désigne la célébration festive de la Nativité la veille de Noël (24 décembre).
[5] Alain Joseph Sissao, Alliances et parentés à plaisanterie au Burkina Faso. Il estime que ce « mécanisme social » permet de réguler les conflits par l’humour entre différents groupes ethniques.
[6] Yamba Tiendrebeogo, Contes et coutumes des Mossis. Cet auteur coutumier décrit la naissance comme le retour cyclique de la force vitale, une idée proche de l’Incarnation. Sauf que cette dernière est conçue chez les chrétiens comme un fait historique unique dans l’histoire.
[7] Décret présidentiel du 6 mars 2024, instituant le 15 mai comme journée fériée pour les coutumes au Burkina Faso. Il promeut un socle endogène de la cohésion sociale.
[8] Ra-Sablga S. Ouédraogo, Burkindi : L’éthique de l’intégrité. Il évoque comment les valeurs traditionnelles peuvent construire ou sauver la nation moderne.
[9] Voir : Rapport ONAFAR (Observatoire National des Faits Religieux), 2023. Le document souligne que 90 % des Burkinabè considèrent le dialogue interreligieux comme une réalité quotidienne vécue.
[10] Souleymane Yago, Réflexion sur le vivre ensemble au Burkina Faso. Le vivre-ensemble commence dès le bas-âge. L’école est aussi son lieu d’apprentissage communautaire.
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