
Le vendredi 13 mai 2025, Y. Vincent et C. Henri, tous deux caporaux de l’armée, ainsi que T. Mamadou, ancien militaire, ont comparu devant la chambre correctionnelle du Tribunal de grande instance Ouaga 1 pour répondre des faits de coups volontaires ayant entraîné la mort de T. Abdel Aziz, élève en classe de première année de BAC Pro au Lycée professionnel régional du Centre.
À la barre, si Y. Vincent a nié les faits, C. Henri et T. Mamadou les ont, quant à eux, reconnus.
Les faits remontent au 28 février 2025, date à laquelle T. Abdel Aziz est allé chez C. Henri, vers 2 heures du matin, pour lui demander de l’héberger pour la nuit car le portail de son domicile était bouclé. À 5 heures du matin, Abdel Aziz réveille C. Henri et lui demande où se trouve sa moto. Une question qui surprend le caporal, qui découvre que la porte de la maison est grande ouverte, bien qu’il l’ait fermée à clé avant de dormir. Ils n’étaient que deux à dormir dans la maison.
Son étonnement est plus grand lorsqu’il constate que la porte n’a pas été forcée. Il s’aperçoit également que sa bouteille de gaz ainsi que son téléphone portable ont disparu. Convaincu que le voleur ne peut être autre que T. Abdel Aziz, il alerte son ami et collègue Y. Vincent. Ce dernier arrive, et ensemble, ils attachent la victime et lui assènent des coups de cordelettes pour lui faire dire où se trouve la moto. Sous la torture, la victime avoue avoir remis la moto à son ami, B. Kader.
L’intervention de l’oncle et du père
Accompagnés de T. Abdel Aziz, les deux caporaux se rendent alors chez B. Kader. Cependant, au lieu de les conduire chez son ami, T. Abdel Aziz les mène au domicile de son oncle, T. Mamadou. Les deux militaires expliquent la situation à l’oncle de la victime.
Dans son audition, Y. Vincent explique que l’oncle a appelé le père de la victime, l’adjudant-chef de gendarmerie T. Ousmane, qui leur a demandé de ramener son fils chez C. Henri afin qu’il vienne régler l’affaire à l’amiable. C’est ainsi qu’ils rebroussent chemin pour retourner chez C. Henri. Y. Vincent affirme qu’il souhaitait qu’on conduise la victime à la gendarmerie ou à la police, mais que le père de celui-ci a insisté pour qu’on le garde sur place, promettant de venir lui-même.
Alors qu’ils attendent le père de T. Abdel Aziz, c’est son oncle, T. Mamadou, qui se présente. Y. Vincent raconte que ce dernier est arrivé très en colère, a demandé à s’entretenir seul avec son neveu, et a exigé qu’on lui apporte un marteau. Selon lui, l’oncle aurait fait des incantations dans sa langue et aurait affirmé que, dans leur ethnie, si quelqu’un vole, il doit mourir.
Il aurait ensuite rappelé le père de la victime, qui lui aurait dit de tout faire pour que le garçon dise où se trouve la moto, ajoutant que « s’ils le chauffaient, il finirait par parler ». Y. Vincent affirme que T. Mamadou a alors asséné un coup de marteau à la victime, et qu’il a dû intervenir pour l’empêcher de continuer.
Sous les coups, blessé à la tête, Abdel Aziz supplie qu’on l’épargne et promet de révéler où se trouve la moto. Selon Y. Vincent, il informe alors le père de la situation et suggère de conduire le jeune homme à l’hôpital, mais ce dernier aurait insisté pour qu’ils aillent d’abord chercher la moto.
Toujours selon Y. Vincent, T. Mamadou a porté au moins trois coups de marteau à la tête de la victime. Il déclare que, pour sa part, il ne lui a administré qu’une gifle, ajoutant que ce sont C. Henri et T. Mamadou qui ont réellement frappé le garçon.
Des responsabilités partagées et des versions divergentes
À la barre, T. Mamadou reconnaît les faits. Il admet avoir frappé son neveu avec un marteau, mais sous la contrainte des deux militaires. Selon lui, ceux-ci l’ont accusé de mauvaise éducation, affirmant qu’il lui revenait de « corriger » son neveu. Il nie toutefois avoir prononcé des incantations.
C. Henri reconnaît également avoir frappé la victime avec une cordelette pour le faire parler. Il soutient que Y. Vincent n’a pas porté de coups, mais affirme que T. Mamadou a utilisé le marteau. Il précise que c’était la deuxième fois que T. Abdel Aziz venait dormir chez lui.
À la suite de ces déclarations, le parquet fait remarquer une possible concertation entre les deux militaires pour décharger Y. Vincent. Il note les contradictions entre leurs déclarations devant le procureur et celles faites à la barre. Il demande à C. Henri s’il s’est entendu avec Y. Vincent pour l’innocenter. Ce dernier nie.
Le rôle du père de la victime pointé du doigt
Le parquet exprime son indignation à l’endroit de T. Mamadou, rappelant que l’oncle aurait dû protéger son neveu, et non devenir son bourreau.
Le rapport d’autopsie indique que la victime est décédée aux alentours de 18 h d’une mort violente due à de multiples hémorragies internes (dorsale et lombaire) causées par un objet contondant. Aucune fracture du crâne n’a été relevée, mais des ecchymoses ont été constatées.
Présent à l’audience, le père de la victime ne s’est pas constitué partie civile.
Réquisitions du parquet
Pour le parquet, il est constant que des coups ont été donnés, et que ceux-ci ont entraîné la mort de T. Abdel Aziz. Toutefois, le procureur estime que si les coups ont été volontaires, la mort est survenue de manière involontaire, car les prévenus ne se sont pas concertés pour tuer la victime. Il relève aussi les incohérences dans les déclarations de C. Henri, qui avait d’abord affirmé que Y. Vincent avait frappé la victime, avant de se rétracter à la barre.
Le ministère public estime que les photos du corps de la victime, montrant des traces de coups dans le dos, correspondent aux coups de cordelettes, et que ces coups sont à l’origine des hémorragies internes. Il dénonce également la responsabilité morale des militaires, censés savoir quelles parties du corps ne doivent pas être frappées.
Le parquet a requis une peine de 7 ans d’emprisonnement ferme et une amende ferme d’un million de FCFA contre chacun des trois prévenus.
Plaidoiries des avocats
Les avocats de Y. Vincent ont plaidé les circonstances atténuantes. Ils ont insisté sur son rôle limité dans les faits, son opposition aux violences, et ses appels répétés à conduire la victime à la gendarmerie. Ils ont également pointé la responsabilité du père de la victime, informé à 11 h mais resté absent, et qui aurait même encouragé la bastonnade. La défense a insisté sur l’attitude de leur client, qualifié de bon soldat et d’homme d’honneur.
L’avocat de C. Henri, qui ne nie pas les faits, a expliqué que c’est la perte de ses biens qui l’a mis en colère. Il a plaidé coupable, tout en appelant le Tribunal à prendre en compte les circonstances atténuantes et le rôle aggravant de T. Mamadou. Il a également dénoncé l’attitude du père de la victime, qui aurait donné la priorité à la recherche de la moto plutôt qu’à la santé de son fils, resté sans soins pendant plusieurs heures.
La défense de T. Mamadou estime, pour sa part, que son client est victime d’un transfert de responsabilité de la part des deux caporaux. Elle affirme que T. Mamadou a été contraint de frapper son neveu sous la menace d’un couteau. L’avocat a soutenu que ce sont les coups des deux militaires qui ont entraîné la mort de la victime, et que c’est T. Mamadou qui a transporté le garçon à l’hôpital. Il a plaidé pour une peine avec sursis.
Verdict attendu
Le Tribunal a mis le verdict en délibéré pour le 23 mai 2025.
Par Ahmadou SERIGNE|Zoodomail.com
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