L’œil extérieur pourrait tenter d’assimiler le don à des actes de corruption. Il s’agit d’un regard décalé qui ignore la profondeur du don de soi exprimé par un geste symbolique. Les Moosé de Busma ne donne pas que du matériel, ils prolongent le don jusqu’aux échanges matrimoniaux. Pour les gens du pouvoir, le don est au cœur de la puissance qui se traduit aussi par la générosité.
Le plus souvent, un geste symbolique, un cadeau est plus parlant que le verbe. « Si un chef veut commander à des vieillards, il lui faut en effet écouter leurs conseils et témoigner sa considération par des petits cadeaux qui honorent plus qu’ils n’enrichissent », soutient Amadou Hampâté BA.
Il s’instaure une logique du don et du contre-don entre les nanambsé eux-mêmes, entre ceux-ci et leurs sujets qui contribue à générer une atmosphère de confiance, voire d’amitié. Le don se veut un échange social muni de codes précis. Il suppose la réciprocité et la contrepartie, même si celles-ci peuvent être décalées dans le temps. Il vise, dans la relation entre inégaux, à reproduire l’inégalité tout en la rendant supportable à travers le pouvoir généreux du dominant contre l’allégeance du dominé. Les fêtes coutumières, les funérailles, les intronisations de chefs sont des occasions d’échanges de cadeaux. L’universitaire Albert OUEDRAOGO explique que « Toutes visites aux chefs s’accompagnaient de cadeaux dontla valeur, proportionnelle à l’importance de la doléance, traduisait la considération qui leur était faite. A l’occasion des fêtes rituelles, les administrés étaient tenus d’honorer la chefferie par des présents massifs ». Il faut toutefois souligner l’importance du rôle symbolique du cadeau qui n’est pas fonction de sa quantité.
La salutation annuelle instituée par Naaba Kumdumyé (son règne débute en 1540), qui sous-entend le renouvellement du serment d’obéissance, est une occasion de transmission de cadeaux. Les kombèèmba ont le devoir, au moins une fois par an, de rendre hommage au rima par le rituel de la salutation. Cela, dans le cas de Busma, s’accompagne d’immenses présents apportés au chef suprême par les visiteurs. Lors de certaines fêtes coutumières, les rimbissi,les tansobendamba, les têngsobendamba et leur suites reçoivent de présents composés d’eau, de dolo, de zomkom (eau de farine) et de boissons modernes, entre autres. A la fin de la fête, le roi manifeste sa générosité en récompensant les musiciens et les troupes de danse par des cadeaux. Il s’agit d’une manière d’encourager la culture et de soutenir l’initiative pour une créativité culturelle dans le royaume. En somme, les relations sociales se résument au principe du don et du contre-don.
Pour ce qui concerne les femmes, le roi reçoit de celles-ci des cadeaux à l’occasion des fêtes ou à chaque fois qu’elles ont une doléance à présenter au Rima. Ces cadeaux sont composés le plus souvent de soumbala et de gombo. Il peut s’agir également de jus fabriqué par les unités de productions féminines du royaume. En retour, le roi fait retourner la calebasse ou le plat par un présent symboliquement et quantitativement plus important. Il peut aussi instruire la Cour pour trouver une réponse positive à la doléance des femmes comme ce fut le cas le 31 mars 2024 avec une coopérative de production de jus naturel qui sollicitait un terrain pour l’implantation de son siège.
Le cadeau peut varier de la noix de kola aux animaux en passant par les habits ou l’argent. Sa transmission respecte un ordre protocolaire précis. Alan Page FISKE l’exprime en ces termes : “The giving of such a gift is a gesture of respect (or gratitude), and the protocol is precise. In a formal ceremonial situation, kola nuts (like other gifts) are placed in a hut or cloth, passed up through the senior member of the presenting party to the host (for example, a sister’s son) as intermediary, thence to a senior member of the receiver’s party (the Ban Naaba, if the receiver is a chief), who shows them to the chief recipient, and then passes them on to someone (at court, a sogone) to hold” (Le don d’un tel cadeau est un geste de respect (ou de gratitude), et le protocole est précis. Lors d’une cérémonie officielle, les noix de kola (comme tout autre cadeau) sont placées dans un chapeau ou dans un tissu, allant des mains de l’aîné de la partie donatrice à celles de l’hôte (par exemple, le fils de la sœur ou du neveu maternel) comme intermédiaire puis à celles de l’aîné de la partie bénéficiaire (Le Ban naaba, si le bénéficiaire est un chef), qui les montre au chef bénéficiaire, et puis le passe à quelqu’un d’autre (à la cour, au sõgné - serviteur) pour tenir).
A un niveau supérieur, le mariage est une occasion de dons et de contre-dons. « En tant que symbole de la vie en société, la dot est aussi un modèle, un emblème ». Elle est une série de points de repères, le certificat officiel, l’attestation de mariage, l’acte juridique qui fonde le mariage. Elle se veut « une écriture dont les lettres sont des signes et des symboles ». La dot met en scène trois ensembles socio-politiques à savoir les familles des deux fiancés et celle des intermédiaires. Le mariage, par l’échange symbolique de la dot contre la femme, se présente comme un acte compensatoire et s’inscrit dans la logique du don et du contre-don. Le droit moderne a de la peine à comprendre la profondeur de cette réalité fondatrice de cohésion sociale et de paix. Il est évident que par manque de connaissance, les sociétés modernes africaines jugent caduques et contreproductives des pratiques culturelles et sociales de solidarité et d’unité qui auraient pu contribuer au vivre-ensemble et à l’unité. Les peuples ne périssent pas seulement par ignorance mais aussi par le rejet des pratiques ancestrales qui ont toujours contribué à fédérer les familles et les communautés.
Busm Kéoog-naaba Koobo (Historien)
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