La disparition de Jimmy Cliff, annoncée le lundi 24 novembre à l’âge de 81 ans, dépasse le simple cadre d’une mort d’artiste. Elle ravive une mémoire politique, culturelle et générationnelle qui touche profondément le Burkina Faso, et particulièrement tous ceux qui ont vécu les années incandescentes de la Révolution démocratique et populaire (RDP) de Thomas Sankara.
Pour notre pays, Jimmy Cliff n’était pas seulement une star jamaïcaine, un géant du reggae ou un militant humaniste de la scène internationale. Il fut, un temps, un compagnon artistique de la Révolution. En 1984, pour l’an I de l’avènement du régime sankariste, Thomas Sankara décide, de faire venir à Ouagadougou l’une des voix emblématiques du tiers-mondisme musical : Jimmy Cliff.
Ce choix n’avait rien d’anodin. Sankara savait qu’un peuple qui se libère a besoin non seulement d’armes, de pain, mais aussi de symboles et de musique. Le reggae, avec sa philosophie de résistance, de dignité et d’affirmation des peuples opprimés, se retrouvait naturellement en phase avec l’esprit du 4 Août. Inviter Jimmy Cliff, c’était inscrire la Révolution burkinabè dans un dialogue mondial des luttes et des espoirs.
Les concerts de Ouagadougou et de Bobo-Dioulasso resteront dans l’histoire. Le stade du 4 Août, à peine inauguré, débordait d’un public exalté. Sur scène, un artiste au sommet de son art ; dans les tribunes, une jeunesse convaincue qu’elle participait à l’écriture d’une histoire nouvelle. La musique devenait alors un moteur d’unité nationale, un véhicule d’idéaux, un souffle de liberté.
Avec la mort de Jimmy Cliff, c’est une époque entière qui remonte à la surface. Celle des engagements universels, des mélodies qui galvanisent, des artistes qui portaient en eux la conscience du monde. Cliff a chanté les douleurs, les exils, les luttes ; il a donné une voix aux sans-voix, et a inspiré des générations grâce à des titres immortels comme Many Rivers to Cross, Wonderful World, Beautiful People, Reggae Night, ou encore sa mythique reprise de I Can See Clearly Now, popularisée par le film Rasta Rockett.
Son dernier album, Refugees (2022), témoignait encore de sa fidélité aux causes des peuples fragilisés. Le reggae n’était pour lui ni une mode ni un business : c’était un combat.
Aujourd’hui, alors que le monde fait face à des fractures profondes, sociales, sécuritaires et identitaires, la disparition de Jimmy Cliff nous interroge. Que reste-t-il de la musique engagée ? De ces artistes capables de parler aux peuples, de rassembler, d’éveiller ? Dans un contexte où les sociétés africaines cherchent de nouveaux repères, où les jeunesses réinventent leurs trajectoires, la voix de Cliff résonne comme un rappel : l’art n’est pas un divertissement, il peut être un ferment de conscience.
Pour le Burkina Faso, son souvenir reste lié à ce moment unique où la Révolution sankariste a fait vibrer ses stades au rythme du reggae. Ce souvenir nous oblige. Il nous rappelle qu’un pays, pour avancer, doit continuer d’investir dans la culture, dans l’éducation artistique, dans les expressions qui élèvent l’âme et cimentent les peuples.
Jimmy Cliff n’est plus. Mais son héritage, lui, ne mourra pas.
Il vit dans les combats pour la justice, dans la dignité des peuples debout, dans la mémoire sankariste, et dans chaque note de reggae qui traverse encore nos nuits.
Qu’il repose en paix. Sa musique, elle, n’éteindra jamais sa lumière.
Par Yamyélé|Zoodomail.com
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